Le Billet de Samantha n° 2 - Novembre 2005

ETT37   


Le Genre en question


Il y a quelques mois, je titrais mon premier billet Transgenre : « Ecoutons nos cœurs ensemble… » Et je concluais par cette question : « Et si la compassion et la tolérance triomphaient enfin de l’exclusion et de l’opprobre social ? »
A cet égard, tout indique sur le terrain qu’il reste énormément à faire. La tolérance, même s’il paraît qu’elle est la charité de l’intelligence… il va falloir aller la chercher.
Je le savais et il y a du travail probablement pour encore quelques générations !
A notre humble place, nous allons essayer…et après nous, d’autres sauront prendre le relais, je n’en doute pas.

En premier lieu, l’accueil chaleureux et sans réserve qui m’a été fait au sein de Quazar m’a fait comprendre que mon engagement pour le simple droit à vivre librement et sans contrainte notre identité de genre, est le nôtre à tous, que l’on soit gay, lesbienne ou transgenre.

Je reviendrai dans un autre billet, sur le triste et affligeant constat de la situation médicale actuelle des personnes transgenre dans notre beau pays libéral avancé.
Mais pour l’heure, j’ai envie d’exprimer ma révolte contre ce que je vois, contre ce que je vis et qui fait monter en moi ce sentiment aigu d’injustice et d’intolérance primaires à notre égard.
Un peu comme si la minorité de genre associée à une tare sociale, devait systématiquement et discrètement être mise à l’écart, à l’abri du regard d’un public appartenant à une majorité dite « normale ». Dormez tranquilles braves gens…l’Etat et la science s’occupent des moutons égarés. Etre différent, simplement différent, implique dans notre société que l’on soit automatiquement inscrit dans les présupposés théoriques qui font de toute différence inexpliquée une pathologie, un sujet d’études approfondi et d’isolement discriminatoires.
D’où la création en France d’équipes centralisées dites « officielles », qui, au prétexte de nous traiter avec plus d’humanité et de « savoir-faire », élaborent de savantes recherches sur nous, acquièrent de la  compétence pour leur sacro-sainte carrière en se nourrissant de notre mal-être et de nos angoisses quotidiennes , nous dissèquent psychologiquement, fouillent nos vies via des enquêtes auprès de l’entourage familial et de quartier, furètent jusqu’aux tréfonds de nos âmes pour décider au terme de plusieurs années d’un interminable protocole arbitrairement établi par des sommités de la science, et répondre à la question fatidique qui déterminera notre droit à vivre ou non : « Sommes-nous ou non des personnes souffrant de dysphorie de genre ! »

Comme si nous devions solliciter à genoux un droit divin accordé à de simples humains appelés « experts » pour avoir le droit pourtant inaliénable, de vivre notre genre psychique… !
-   Savez-vous que selon le protocole officiel, il est plutôt de bon aloi d’avoir fait au moins une tentative de suicide ?? Cela fait plus sérieux et accorde quelques points favorables à notre dossier de demande d’admission vers une vie meilleure… !
-   Savez-vous qu’il est très convenable et plutôt bien noté de ne s’être jamais servi de son sexe par la masturbation et surtout de n’avoir jamais fricoté avec une personne du sexe opposé ? Comme si une dysphorie de genre interdisait à la personne d’être lesbienne ou gay !  
Toute cette déplorable mise en scène qu’ils appellent protocole, vise bien évidemment à briser la vie de 96% des personnes ayant une dysphorie de genre, recalées par ledit protocole, après avoir accepté sagement et civiquement de passer par la voie dite « légale »… Ce n’est rien moins qu’une atteinte grave au code déontologique et au plus élémentaire droit à la vie, librement déterminé pour chaque être humain.

D’un point de vue social, on fait tout pour mettre le plus de distance possible entre nous et le grand public qui, mal informé et au-delà même d’une éventuelle transphobie sous-jacente, ressent à notre égard un sentiment de malaise et de rejet, à l’instar de toute personne dont on dirait qu’elle a fait l’objet d’un long internement chez les fous…et pour cause !
-   Pourquoi les transsexuelles qui n’ont souvent d’autre choix intime pour accepter leur condition que d’aller jusqu’à la réassignation sexuelle, ne seraient-elles que de grandes malades assignées à un interminable parcours de suivi psychothérapique aux yeux des grandes théories médicales ?
-   Au nom de quel droit supérieur, les soi-disants experts s’arrogent-t-il la suprême ignominie de faire de nous des sujets déviants donc malades ?
-   Quand cessera-t-on de nous priver de Notre Vérité, qui est notre droit intime et divin à notre différence de genre ?
-   Pourquoi les experts s’approprient-ils notre différence et l’interprètent-ils en se répandant en affirmations erronées dans leurs ouvrages malsains devenus références pour le grand public ?  Au passage ils entretiennent leur compte en banque sur notre dos tandis que notre condition reste épouvantablement dramatique… !
 
Parlez mesdames et messieurs les savants, écrivez, répandez les idées reçues, étalez vos fausses vérités sur les plateaux des chaînes TV, et surtout faites en sorte qu’il ne nous soit pas permis d’opposer la moindre contradiction à vos consternants monologues médiatisés…  Il en restera toujours quelque chose !
Qu’on ne s’y trompe pas : Le Genre est un thème qui nous concerne tous.
Les gays et les lesbiennes n’oublient certainement pas que la façon dont la transsexualité est  enchaînée, verrouillée, pour ne pas dire prise en otage par les experts de certaines sectes médicales et psychiatriques, eux-mêmes complices, conditionnés et dirigés par un Etat cyclopéen qui ne souhaiterait voir qu’une tête dans les rangs de ses sujets pour faire plus politiquement correct, est l’exact reflet de ce qu’ils vivaient il n’y a pas si longtemps encore (1973,  suppression de l’homosexualité de la liste des maladies mentales élaborée par l’Association américaine de psychiatrie.) C’est à l’issue d’un long et difficile combat qu’ils ont réussi à se débarrasser de cette domination oppressive.
Et même si les gays et les lesbiennes n’ont pas besoin d’hormonothérapie ou de réassignation sexuelle pour vivre harmonieusement leur vie, tous partagent une histoire commune avec les transsexuelles : celle d’avoir été et d’être vus encore comme des individus mentalement dérangés, dérangeants et qui doivent être soignés.

Notre action militante n’a pas d’autre choix que d’être mise en commun face à l’oppression et à la mise en marge de la société, pour un jour enfin, réduire les effets néfastes de la discrimination, de la violence et de la stigmatisation homophobe et transphobe, briser les préjugés de ce monde insoucieux, pernicieux dans ses arcanes scientifiques et administratifs.
Plus que jamais, j’ai envie de crier à ceux qui nous gouvernent et à ceux qui prétendent savoir et vouloir nous « soigner » en dépit du bon sens : « Ecoutez nos cœurs ! » 

« Le bon combat est celui qui est engagé au nom de nos rêves. » (Paulo Coelho)

 

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© Samantha Paul, le 1er Novembre 2005 - Tous droits réservés ETT37