Le Billet de Samantha n° 6 - Mars 2006

ETT37   


" Vivre de l'autre côté... "


Une grande partie de la problématique intime transgenre réside dans sa capacité personnelle à trouver la solution de la transition. Réaliser sa "Légende Personnelle" n'est déja pas simple en temps normal. Tout se complique lorsqu'un état transidentitaire s'ajoute à cet accomplissement personnel. Confiné(e), bloqué(e) derrière le miroir sans tain, on voit douloureusement se dérouler le fil de ce que pourrait être la vie de l'autre côté.... vie rêvée, vie confisquée, au féminin ou au masculin selon le cas. Les autres ne voient de nous que notre "négatif". L'absolue nécessité de la transition sociale exige de transgresser les sacro-saints tabous sociaux, de tordre le cou aux exigences dites "morales" de la normalité, de forcer les verrous de l'étroitesse d'esprit, de franchir la montagne des sept douleurs pour enfin passer de l'autre côté... de l'autre côté du miroir, en pleine lumière !

Souvent la lumière fait peur... trop souvent. Nous nous demandons si tous ces efforts pour le simple droit d'exister valent finalement la peine. Oui, ils en valent vraiment la peine. Simplement, il ne faut jamais renoncer.

Aucune histoire personnelle n'est transposable. La mienne pas plus qu'une autre. Tout au plus en écrivant un peu de celle-ci pour vous, pourrait-elle -je l'espère- vous suggérer un désir, une envie supplémentaire d'avancer plus encore dans votre quête du bonheur. Ce bonheur auquel vous avez droit vous aussi. Et si cela devait aider -ne serait-ce qu'une ou deux d'entre vous-, j'en serais mille fois heureuse :

Lundi 20 février 2006. Il est 3h 20 ici a Bangkok, 21h 30 heure de Paris. Mon horloge biologique est décidement rétive au décalage horaire, depuis deux semaines que j'ai débarqué dans ce pays contrasté. Je ne peux dormir. Je repense au film de ma longue vie de solitude psychique, jusqu'à ma rencontre avec Sarah, la naissance d'une infinie tendresse amicale comme seule la vie et peut-être un ange sont capables de nous en faire le généreux cadeau.

Décembre 2004. Une rencontre improbable entre deux êtres au bord du précipice, en équilibre précaire sur le fil ténu de la vie. Elle a 19ans, un demi-siècle déjà passé pour moi...

Le sommeil ne vient pas. Je me décide à me lever et j'entreprends de griffonner ces quelques lignes qui constitueront le fil rouge de mon billet de ce mois :

Juin 2005. Nous avons décidé, Sarah et moi de nous faire opérer, pour mettre enfin en conformité notre corps avec notre sexe psychique. La SRS (Sex Reassignation Surgery) aura lieu en février 2006. Après une longue et studieuse recherche comparative, nous avons finalement opté pour le Dr. Suporn qui nous a semblé être le plus apte à nous garantir les meilleurs résultats fonctionnels et esthétiques. Revers de la médaille, l'exigence de qualité a un prix plus élevé. Notre budget global, frais de séjour compris, ne nous permettra pas d'envisager l'opération pour deux. En fait, je n'ai pas réfléchi longtemps : à l'automne de ma vie, les couleurs restent encore belles et vives, mais plus rien ne presse. Carpe Diem. Au printemps de la sienne, les arbres tendent les jeunes pousses de leurs branches vers le ciel, pleines d'espoir et d'ardeur. Les racines ont besoin de puiser toute l'eau nécessaire a l'épanouissement d'une vie de promesses à tenir. Inutile pour sa vie toute juvénile de subir encore les âffres que j'ai connues bien trop longtemps. Je n'ai pas hésité un seul instant. L'opération sera pour elle. De toute mon âme, je lui offre une part de sa vie, car je sais trop ces douleurs, cette désespérance, pour les lui épargner sans discuter... Je sais ce que je m'impose encore à moi, mais je sais ce que je lui épargne de souffrances et de vie gâchée. Et rien que pour cela, je suis heureuse de ce choix indiscutable.

Nous avons pris date avec le Dr Suporn. Nous partons le 2 février pour Bangkok. Je vais accompagner Sarah dans ce que nous avons appelé notre projet Nirvana, et vivre par procuration l'intense joie d'une transformation, pour ne pas dire d'une transfiguration... le mardi 7 février 2006.

7 février 2006. Il est 9h du matin. Je l'ai serrée très fort dans mes bras. Elle est partie en salle d'opération en arborant un large sourire. Je n'ai pas eu peur un instant et je sais quelle n'a pas peur. J'ai confiance, même si l'attente, la longue attente me plonge dans un état a la limite du supportable. L'opération a duré 9 heures. La porte de la chambre s'ouvre enfin. Dans le brancard qui s'approche de moi, Sarah très pâle me sourit, son nounours rose serré dans ses bras.

Sarah est installée confortablement dans son lit. Le staff médical ayant terminé son travail autour d'elle, nous voilà enfin seules. Elle n'a pas trop la force de parler, moi non plus. Elle sait que son rêve est réalisé, elle sait que sa vie va pouvoir commencer. Je sais tout cela aussi comme si je le vivais intimement. Son regard de tendresse me fait fondre. Pas un mot, pas besoin de mots; juste un grand silence émouvant et d'intenses larmes... de joie. J'ai l'impression de l'avoir portée en moi pendant tous ces mois d'attente. En cet instant, je ressens l'immense bonheur d'une maman devant son enfant venant de naitre. Le plus beau cadeau du ciel...

Ce que j'ai compris après tout ce temps - presque ma vie entière -, c'est qu'une vie de douleur n'implique pas l'isolement. L' Amour de l'autre est si vaste qu'il a besoin d'être partagé. J'ai voulu, au moins une fois dans ma vie, vivre avec, et pour mon prochain, quelque chose de grand, de beau, d'authentique : offrir sa vie à une fille dans la fleur de son âge pour n'avoir su ni pu me l'offrir... et m'offrir à moi le simple plaisir du don.

Ce que j'ai appris encore, c'est que nous devons accepter les gestes d'amour de notre prochain. Nous devons permettre à quelqu'un de nous aider, de nous soutenir, de nous donner la force de continuer. Si nous acceptons cet amour avec pureté et humilité, nous comprenons que l'Amour ne consiste pas à donner ou à recevoir, mais à participer.

Nous sommes, Sarah et moi, en train de participer à une aventure humaine irremplacable. Nous nous entraidons, nous nous soutenons, et nous participons chacune l'une pour l'autre, du plus profond de nos coeurs.

Voila mon petit message d'amour et d'amitié depuis Bangkok. Puisse-t-il -vous qui me lisez- vous faire partager l'envie de continuer votre combat avec opiniâtreté et foi en la vie.

La petite conclusion de cette histoire trouve probablement son sens dans ces quelques phrases : " Gare à la solitude. Telles les drogues les plus dangereuses, elle crée une dépendance. Si le coucher de soleil semble ne plus avoir de sens pour vous, faites preuve d'humilité et allez chercher de l'amour. Sachez que plus vous serez disposé(e) à donner, plus vous recevrez en retour. "

Nous sommes là pour vous aider...

Amicalement et solidairement vôtre.

 

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© Samantha Paul, le 1er Mars 2006 - Tous droits réservés ETT37