Ma transition ou l’enterrement d’une vie de garçon |
« Si tu as un passé dont tu n’es pas satisfait(e), oublie-le maintenant. Imagine une nouvelle histoire pour ta vie et crois en elle. Concentre-toi seulement sur les moments où tu as réussi ce que tu désirais – et cette force t’aidera à obtenir ce que tu veux. » Paulo Coelho
Le texte qui suit est
l’histoire de ma transition.
Une transition que j’écris à titre d’exemple sans la prétendre
exemplaire.
J’ai suivi ma route... c’est tout.
Lorsque j’ai commencé
à envisager ces changements pour ma vie, j’ai éprouvé bien du mal à
trouver -ne serait-ce que le bout d’un renseignement- sur le mode d’emploi
de la transition.
Cela ne m’a pas empêchée de parvenir à mes objectifs.
Néanmoins, comme disait Sénèque : « Ce
n’est pas que nous disposons de peu de temps, c’est surtout que nous en
perdons beaucoup. »
J’en ai perdu énormément.
J’avais cinquante ans
et je n’étais pas encore née. Je vivais recluse dans ma prison mentale et me
trouvais mille raisons de ne pas faire ce qui m’effrayait beaucoup.
J’attendais. J’ai attendu presque toute ma vie.
Je vivais dans la vacuité d’un présent éthéré.
Jusqu’au jour où j’ai compris que ce qui est engendré par la crainte
n’est rien moins qu’une douleur. Jusqu’au jour où j’ai pris conscience
que ma vie n’était nulle part ailleurs qu’en moi-même et que je devais
aller la chercher jusqu’au fond de mes peurs. Ça, personne ne pouvait le décider
pour moi.
Quand le moment est venu, il ne pouvait en être autrement. C’est tout.
Peut-on affirmer un jour : - Je suis prêt(e) ?
Ce jour-là j’ai seulement su que ça m’était indispensable.
Alors j’ai levé mon regard. La montagne me semblait bien haute, tellement
haute ! Mais ma vie résiduelle ne valait-elle pas le prix d’une escalade ?
Je ne savais pas trop bien grimper. J’ai longuement tâtonné.
D’étape en étape, je me suis aperçu que doucement j’avançais et que la
plaine où je languissais depuis si longtemps s’éloignait de mon
horizon.
Alors, je ne me suis plus retournée. Et j’ai grimpé.
Plus tard, j’ai su que la montagne en cachait d’autres…
Le jour où tout a commencé…
Mercredi
15 janvier 2003… à 18h45 (jour 1)
Rendez-vous avec le Dr B. Généraliste à Tours.
Je ne connais pas ce docteur choisi au hasard dans l’annuaire.
Je me présente vêtue en fille. Je suis concentrée, déterminée, mais pas
plus rassurée que ça.
C’est ma toute première démarche pour évoquer ce que j’appelle encore :
« Mon problème » : un trouble de genre qui me mine depuis
l’adolescence ; un trouble longuement refoulé par la honte et qui
aujourd’hui n’est plus supportable.
La gorge nouée, je lui explique longuement et sans doute maladroitement mon
parcours psychique depuis l’enfance et le long cheminement personnel pour
affirmer ma vraie nature, celle qui ne me posait pas question et me semblait
tellement évidente étant enfant.
« Je souhaite accéder au statut féminin et je sollicite votre aide ».
C’est ainsi que je termine mon exposé.
Je suis assez surprise
d’avoir osé si simplement dérouler ma vie longtemps jalonnée de non-dits à
une personne étrangère.
Cet homme m’a écoutée
attentivement. J’imaginais une objection polie en forme de réponse pour m’éconduire, du
genre : « je vais vous prescrire un calmant, ça va passer… ».
Au contraire son ton est
rassurant, compréhensif. Ma tension s’apaise peu à peu.
Je l’écoute parler de
sa voix douce. Il me propose d’adresser un mot à un confrère Gynécologue de
Tours, qui m’écoutera et me proposera le traitement idoine. Il me communique
ses coordonnées.
A cet égard, quoique
faisant de son mieux, il commet une grave erreur d’orientation, mais il ne
sait pas. Moi non plus… pas encore.
A cet instant je ne
pouvais espérer mieux que cette porte entr’ouverte sur l’espoir. En tout,
il m’a accordé une heure de temps pour une simple consultation.
Je mesure l’importance
psychologique de l’accueil que me réserve ce gentil docteur. Cet instant
magique marque indéniablement le début de ma quête : vivre en harmonie avec ma
nature profonde…être femme, vivre socialement en femme, cela est donc
possible puisque j’ose enfin en parler et qu’on m’écoute !
Une barrière vient de
tomber : celle de la honte, réminiscence d’une éducation catho, renforcée
par l’omniprésence de la pression sociale.
Pour aller à la
rencontre de la femme qui est en moi, j’acquiers une nouvelle force : La
confiance.
Dès le lendemain, je
prends rendez-vous pour le 17 février avec le Gynécologue.
Jeudi
16 janvier 2003… à 18h30 (jour 2)
Rendez-vous dans un
institut d’épilation Laser à Tours.
Au sortir du bureau, je
me présente en homme.
Je suis reçue par
Sandrine ; une jeune femme menue, brune aux cheveux courts, très jolie.
Elle me fait une démonstration
pratique. La douleur semble supportable à priori.
Coût total pour le corps
entier : 8500 euros ! Nous nous mettons d’accord sur la base d’un
devis préférentiel : Ce sera 5700 euros, soit 33% de remise.
475 euros de budget
mensuel.
La banque palliera bien
mes carences financières !
Lundi
27 janvier 2003 (jour 13)
Cette date marque le début
du programme d’éradication pileuse qui ne se terminera qu’en février 04.
Dans l’intervalle, Sandrine est devenue une précieuse confidente.
Lundi
17 février 2003… à 20h20 (jour 34)
Rendez-vous avec le
Docteur L. Gynécologue à Tours
Ma première expérience
avec le docteur B. m’a donné plus d’assurance. Je me sens sereine et décidée.
Je lui remets la lettre de son confrère, qu’il lit.
Je lui redis mon parcours
et termine par cette même requête :
« Je souhaite accéder
au statut féminin et je sollicite votre aide ».
Je le sens hésitant, légèrement
déstabilisé. Je suis probablement sa première rencontre du genre. Il me le
confirme.
Et de me dire qu’un
traitement hormonal peut se révéler dangereux. Et de m’affirmer que
psychologiquement je pourrais regretter des modifications physiques irréversibles
qui ne correspondent pas à ma nature originelle. Et de me conseiller de suivre
une psychothérapie, passage obligé selon lui, avant d’envisager le moindre
traitement hormonal. Si cet homme savait mon long parcours psychique pour en
arriver aux certitudes qui m’amènent à lui, il me proposerait un traitement
immédiat sans passer par la case psy. Mais je suis prête à en passer par là
si c’est réellement la « procédure ».
J’écoute, attentive,
docile.
Il me prescrit toute une
série d’examens préalables. « Je m’occupe de vous, je vous écris
sous deux semaines pour vous indiquer la marche à suivre » me précise
t-il.
Après tout, il
s’occupe de moi et il va m’écrire… attendons.
Deux semaines plus tard,
rien au courrier. Je rappelle. « Oui, je pense à vous, rassurez vous. Je
vous écris sous huitaine ». Deux semaines après, idem.
Samedi
15 mars 2003… à 17h00 (jour 60)
Rendez-vous chez le
Docteur B. Orthophoniste à Tours.
Une femme charismatique
à la voix claire et tonique. Bon point pour elle : Elle me rappelle ma
première maîtresse d’école. On n’oublie jamais sa première maîtresse
d’école. On a pour elle une tendresse toute particulière.
Je suis habillée
unisexe, légèrement maquillée.
Je lui confie mon projet
de vivre femme et mon souhait de faire appel à ses compétences pour m’aider
à adoucir une voix qui bientôt, je le pense, ne sera plus compatible avec ma
future apparence.
Je lui parle de la
blessure profonde consécutive à la mue de mon adolescence.
Mon cas l’intéresse.
Sa clientèle est presque exclusivement composée d’enfants et je lui propose
un challenge nouveau qu’elle juge difficile mais pas insurmontable. Elle
accepte et me précise que le travail sera long, fastidieux et qu’il me faudra
volonté et assiduité, à raison d’une séance hebdomadaire, sans compter le
travail personnel quotidien. Je la rassure sur ce pré requis.
Nous prenons date pour la
première séance.
Samedi
29 mars 2003 (jour 74)
Toujours pas de nouvelles
du Gynécologue. Je veux encore croire en lui mais je m’impatiente un peu.
Je le rappelle. Il
bafouille que ses démarches avancent, qu’elles sont plus lentes que prévues
mais qu’il pense toujours à moi.
Jeudi,
03 avril 2003 à 20h00 (jour 79)
Rendez-vous chez le
Docteur B. Orthophoniste ; première séance.
Ce jour est important
pour moi à trois égards :
Lundi
14 avril 2003 (jour 90)
Toujours pas de nouvelles
du gynéco. J’appelle, il est en vacances l’heureux homme.
…
Jeudi 15 mai 2003 à 18h40 (jour 121)
Je me trouve face à un
homme dont je mesure concrètement le côté désagréablement fuyant. Je lui
rappelle sa promesse trois longs mois auparavant, de me donner le mode
d’emploi auquel j’avais adhéré en confiance ; l’important pour moi
étant d’avancer mais surtout pas de stagner comme il me l’impose. Il
acquiesce, commente les résultats de mes analyses. Elles sont rassurantes et
rien ne saurait à priori s’opposer médicalement à un traitement. Il faut néanmoins
passer par un psy qu’il cherche.... J’ai l’impression d’avoir déjà
entendu ce discours là ! Il m’indique qu’il a bien avancé mais
qu’il lui manque un ou deux éléments et qu’il m’écrit promis juré…
sous huitaine !
Là, j’ai confirmation
qu’il me prend pour une grosse conne et qu’il joue la montre en espérant
que je me lasse. Il n’a même pas le courage de me dire qu’il ne fera rien
pour moi. Je règle le bonimenteur et prends congé de ce faux-cul, furieuse
contre moi d’avoir été aussi docile et naïve.
C’est moi qui souhaite
la vaginoplastie et c’est lui qui n’a pas de couilles !!
Vendredi
16 mai 2003… à 18h00 (jour 122)
Je consulte le docteur B.
Dermatologue (épilation Laser) à Tours. Je lui fais part de mes récentes désillusions
avec le gynécologue L.
Elle m’oriente vers le
docteur G. Gynécologue connu et reconnu à Tours pour avoir aidé d’autres
personnes trangenre. Je le contacte illico. Il m’oriente vers un psy à Paris
« entre les mains duquel il convient de passer pour un entretien préalable,
avant d’envisager le traitement sollicité » me précise-t-il.
Cela ressemble à un
discours convenu et déjà entendu. Mais il semble connaître son sujet et il me
rassure en me disant qu’il me recevra sous huitaine, suite à mon entretien
avec ce psy.
Il me donne ses coordonnées.
Pas un instant à perdre, je fonce. Je contacte le secrétariat du docteur G.
psy à l’hôpital F. en région Parisienne. L’agenda de cette éminente spécialiste
est plein comme un œuf ; on me fixe rendez-vous en septembre, le vendredi
12 à 15h45 pétantes ; à prendre ou à laisser. Je prends.
Lundi
19 mai 2003… à 20h00 (jour 125)
Rendez-vous avec Mme B.
Orthophoniste.
Elle m’a reçue toutes
les semaines depuis notre première rencontre le 15 mars dernier. Nous
travaillons beaucoup. J’ai appris à respirer. Les exercices sont
effectivement fastidieux, itératifs, mais je ne devais pas m’attendre à
chanter Carmen avec une voix de Diva dès les premières semaines.
Je m’accroche ;
nous y croyons. A chaque rendez-vous, comme je suis sa dernière patiente de la
journée, nous nous accordons toujours un moment de causerie. C’est
l’occasion pour moi de lui parler de mes démarches, de mes espoirs, de mes
doutes, de mes déceptions.
L’air de rien, elle
devient une confidente qui partage mon parcours au fil de l’eau. Et cette écoute
me permet d’amortir psychologiquement bien des découragements latents. Tout
doucement, je mets à profit notre rencontre hebdomadaire pour progresser dans
mes exercices mais aussi me revigorer les neurones et repartir de plus belle
pour une autre semaine, encore plus forte, plus volontaire que jamais.
Mme B. parle peu. Ecoute
beaucoup. Un soir elle me demande si je consulte Internet. Je n’ai pas
Internet à la maison, mais peut-être au bureau…
Elle me parle du site
d’une association « Syndrome de Benjamin » et me suggère
d’aller y jeter un œil. Peut-être y trouverai-je d’autres sites
susceptibles de me guider utilement dans toutes ces démarches qui semblent si
compliquées à mettre en œuvre isolément ?
Je ne suis pas du tout
familiarisée avec Internet mais je prends l’information à tout hasard.
Promis, j’irai voir.
Samedi
12 juillet 2003 (jour 179)
Paris… Angel Mode.
Par l’entremise d’une
copine, je fais connaissance avec Angéla, propriétaire d’un magasin de
confection.
Une vraie petite fée Brésilienne
aux doigts d’or !
60 ans. Transgenre
resplendissante, ne faisant pas son age. Nous devenons copines. Elle me dit de
ne pas hésiter à la rappeler si un jour j’ai besoin d’une adresse de médecin
qui aide les personnes comme nous. J’en prends bonne note.
Dimanche
27 juillet 2003 (jour 194)
Je fais mon coming out
auprès de mes deux sœurs.
Elles me soupçonnaient
homo, elles me découvrent transgenre. Annonce terrible pour elles.
Après quelques heures de
discussion au téléphone elles semblent accepter… du bout des lèvres.
Je sais bien au fond de
moi que ce ne sera pas chose simple pour elles que d’accepter de perdre un frère.
Moi-même n’ai-je pas mis plusieurs années avant de simplement m’accepter ?
Je mesure le chemin qu’elles auront à faire. Vais-je perdre mes deux sœurs
que j’aime de tout mon cœur ? Il va leur falloir probablement beaucoup
d’amour et de tolérance.
Je mise sur l’amour.
Je me fais toute petite.
J’aurais tellement besoin de leur soutien ! Je suis en apnée.
Vendredi
29 août 2003 (jour 227)
Je reçois un courrier
annulant mon rendez-vous chez le psy en région Parisienne (ben voyons), et
m’invitant à prendre contact avec le secrétariat pour une autre date.
J’imagine le pire vu leurs délais. Mais non, on me propose le mardi 16
septembre à 15h00, à prendre ou à laisser. Je re-prends.
Mardi
02 septembre 2003 (jour 231)
Je consulte le net.
A ma grande surprise, je
découvre via les sites trouvés, une foule d’informations.
La lecture de ces
documents me laisse un peu sur ma faim. Beaucoup de littérature. De nombreuses
informations utiles à ma culture mais… je voudrais plus de concret.
Mercredi
03 septembre 2003 (jour 232)
C’est la rentrée, et
avec elle le retour de vacances de mes sœurs. J’ai bien sûr été au centre
des discussions familiales. Au final, ma transidentité passe très mal et
n’est pas acceptée.
Pas question de me revoir
en fille. On m’aurait acceptée homo, mais travelo, faut pas pousser ! Je
suis et resterai un garçon dans leur souvenir.
On ne me reverra donc
plus. C’est un peu comme de ne plus vouloir me conjuguer au présent… arrêt
sur image.
Je misais sur l’amour,
tant pis. Mon environnement affectif s’étiole.
Mercredi
16 septembre 2003…à 15h00 (jour 245)
Rendez-vous avec le
Docteur G. Psy en région Parisienne.
Par crainte de manquer
cet entretien tant attendu, je suis arrivée devant l’hôpital avec trois
heures d’avance.
14h30, une petite dame
pas vraiment avenante, passe le nez dans l’encoignure de la porte de la salle
d’attente où je me liquéfie, la chaleur aidant. Elle m’invite à la suivre :
« Puisque vous êtes en avance, profitons en » m’interpelle-t-elle
sèchement.
Traduction : « Bon,
puisque vous êtes là, plus vite on se débarrasse de vous mieux ce sera ».
Elle a dans les yeux cette expression hautaine que
confère le pouvoir sur les choses et sur les êtres. Je
me crispe un peu, mon sourire aussi. Je pose mon séant sur la seule chaise
disponible. Elle est bancale, presque à l’agonie. Les budgets sont serrés.
Mes fesses aussi…
A
partir de là les mots touchent à la limite du dicible.
Mais
je ne peux pas les retenir. Je ne peux pas les taire.
Aussitôt la matrone
m’assène d’un ton monocorde une salve de questions personnelles.
A la question :
« Avez-vous été marié ? », Réponse affirmative. Tilt. Le
stylo de la mégère reste quelques secondes en suspension au dessus de la
feuille de tests, puis elle coche une case : sans doute celle qui condamne.
Je pressens le gravier
dans le soulier, la mouche dans le potage.
Mais la série de
questions continue et va quasi consciencieusement jusqu’à son terme.
La préposée pose son
stylo et tapote le bord du bureau de ses doigts potelés.
Son regard se fige
soudain sur ma poitrine rebondie. Et la bougresse de me reprocher d’avoir
commencé un traitement hormonal sans contrôle (sous-entendu le leur je
suppose).
Je fais remarquer à son
éminence, redoutable observatrice, qu’il s’agit de simples prothèses et
lui en pose une sur le bureau. Même pas gênée, elle enchaîne : Pourquoi
ne voulez-vous pas rester simplement travesti ? ». « Ben ma
bonne dame, parce que précisément, si je voulais le rester, je ne serais pas là
à répondre à vos questions ! »
Et de m’expliquer
qu’elle travaille dans une équipe spécialisée, qu’il existe 4 ou 5 équipes
équivalentes en France s’occupant quasi exclusivement de tous les cas de
« transsexualité ». Qu’à ce titre, eux seuls sont habilités à
décider du bien fondé de notre démarche, que les critères de la vraie
« transsexualité » définie entre spécialistes, pour partiaux
qu’ils soient, sont précis nets et incontournables, que, qui sort de ces critères
sort du processus, que seulement 4 à 5% des « patients » sont sélectionnés
pour accéder au statut féminin ou masculin, au terme d’un suivi
psychologique minimum imposé de 2 ans.
Interloquée par le débit
froid et comptable de cet hématozoaire, je me risque à lui demander si
franchement, au vu de ce premier interrogatoire, je réponds aux fameux critères.
Elle me dit que les tests sont loin d’être terminés, qu’il y aura enquête
de voisinage, auprès de ma famille aussi, mais que le fait d’avoir été marié
est un critère qui jouera probablement au final en ma défaveur.
« Pourquoi cela ? »
demandé je. L’effrontée rétorque sans sourciller que la vie commune avec
une femme est formellement contradictoire avec la « transsexualité »
selon leurs normes, que les vraies « transsexuelles », n’ont
jamais de rapport avec une femme et qu’elles ne se sont même jamais servies
de leur sexe et qu’enfin, preuve irréfutable s’il en est : « Elles
sont tellement mal dans leur tête qu’elles attentent à leurs jours et récidivent
plusieurs fois ».
Me suis-je seulement
suicidée une seule fois moi ? Mais qu’en sait-elle, l’héberluée ?
J’hallucine, je me
crispe encore plus.
Je me risque à lui dire
avec un sourire forcé, que les « vraies transsexuelles » doivent
probablement leur arriver dans un piètre état et que je suis désolée de me
présenter à elle toute pimpante, ni moitié pendue, ni agonisante sous
l’effet d’un calice de la mort…
Sœur sourire fait mine
de ne pas relever mon humour.
Je lui demande quelle est
la suite de ce joyeux programme. Elle m’invite à contacter de nouveau son
secrétariat pour un rendez vous qui me sera fixé trimestriellement, et ce
pendant 2 voire 3 ans ou plus.
- Pourquoi tous les 3
mois ? C’est un intervalle bien long pour un suivi efficace !
- Parce que la demande est importante ! Cela ne me rassure pas. Je
pense à toutes ces personnes en attente si prégnante qu’elles n’imaginent
probablement pas un instant ne pas faire partie des 4%. Ça me fait froid dans
le dos…
J’ajoute que cela me
semble assez curieux qu’ils puissent laisser globalement 95% des gens mariner
pendant deux ans de psychothérapie, pour conclure à une fin de non recevoir,
alors qu’ils en connaissent forcément l’issue dès le départ selon leurs
critères de base ! Je m’étonne même qu’elle me permette de
continuer, sachant que le critère du mariage semble rédhibitoire à leurs
yeux.
Je lui demande si elle et
son équipe se préoccupent de l’état psychologique des 95% d’éconduites
après deux années de folle espérance. Qui se soucie après cela de leur désespoir ?
Combien de suicides à posteriori ?
La revêche reste de
marbre, les lèvres pincées.
Elle a déjà fermé le
clapet de sécurité de son inhumanité. Je
suis indignée.
Je me demande ce que je
suis venue faire là et me souviens que je viens de la part du docteur G, gynéco
à Tours. J’en fais part à l’austère psychiatre. Elle ne connaît pas ce
docteur et de toutes manières, seules les équipes spécialisées, à
l’instar de la sienne sont habilitées à nous suivre.
Je me sens vraiment mal.
J’ai la nausée des mots. Elle me réitère sans vergogne son invitation à
m’inscrire dans le processus de dénigrement systématique de ma transidentité.
Ne voulant pas, dans cet
exode dégradant, venir grossir les rangs des pauvres hères attendant qu’un
hypothétique Moïse de la psychiatrie m’ouvre la mer Rouge… de la honte, je
décline l’invitation. Je la remercie pour son « charmant accueil »
et lui fais part de ma détermination à me passer de ses services ainsi que
ceux de son équipe.
Elle s’en fout, elle
est fonctionnaire, elle débauche à 16h30 et ne veut pas rater « Question
pour un champion » avec l’inénarrable Julien.
Je tourne mes
hauts-talons, referme la porte derrière moi et pleure les larmes de mon corps
que j’avais contenues jusqu’alors.
Retour bien difficile à
la case départ. Je me sens profondément humiliée. La dépression guette. Je
dois me reprendre. Rassembler ce qu’il me reste de volonté et ne pas décevoir
les quelques rares personnes qui me soutiennent. Il faut avancer. J’ai la rage
au coeur.
Demain
est un autre jour. Je rentre chez moi avec cette pensée.
Oui,
demain est un autre jour.
Lundi
22 septembre 2003 (jour 251)
Par acquis de conscience,
je rappelle le gynéco G. à qui je fais part de ma rencontre avec la psy.
Il me répond qu’hélas
il ne peut plus m’aider, prétextant que de nouvelles directives
administratives depuis notre dernier entretien, lui interdisent d’interférer
sur les prérogatives des équipes spécialisées.
Elle avait donc raison Sœur
sourire !
Je me saisis de
l’annuaire et contacte systématiquement les gynécos et endocrinologues de
Tours et d’Orléans en prenant soin d’expliquer ma démarche. Je parviens à
joindre le tiers d’entre eux.
Refus polis, sauf un
rendez vous décroché… en mars 2004 ! Je me sens vraiment comme une
pestiférée ! Il me faut trouver une autre solution. Absolument.
Mardi
23 septembre 2003 (jour 252)
Je me souviens d’Angéla
ma copine Brésilienne et la contacte aussitôt. Elle me donne les coordonnées
d’un médecin à Paris. Je m’empresse de le contacter. Rendez-vous est pris.
Génial ! Que n’y avais-je pensé plus tôt ? Quelle sotte !
Lundi
06 octobre 2003… à 13h30 (jour 265)
Rendez-vous avec le
docteur G. à Paris.
Après m’avoir écoutée
attentivement, il déclare bien vouloir m’aider, me pose peu de questions de
santé et me prescrit des examens de sang, préalable au traitement. Il me fixe
un second rendez-vous.
Jeudi
23 octobre 2003… à 13h30 (jour 282)
Rendez-vous avec le
docteur G. à Paris.
Les examens sont
satisfaisants. Le docteur m’annonce qu’on va pouvoir commencer le
traitement.
Il me prescrit pour
commencer deux comprimés par jour d’Androcur 100.
On se revoit dans 3 mois.
Retour à la maison sur un petit nuage.
Nul besoin de champagne,
ça pétille dans mes yeux et dans mon cœur.
Samedi
25 octobre 2003… à 09h00 (jour 284)
Rendez-vous avec le
docteur T. mon généraliste traitant. Je fais mon coming out. Il n’est pas
trop étonné. Il est ravi de faire enfin connaissance avec Samantha
et me propose de m’appeler ainsi désormais. Ben oui…
Je lui fais part de la
prescription d’Androcur 100. Il trouve la dose un peu forte à priori et
attire mon attention sur les effets secondaires de ce médicament.
Mardi
28 octobre 2003 (jour 287)
Je suis curieuse d’en
savoir un peu plus long sur la prescription d’Androcur 100.
J’interroge une
association Parisienne trouvée sur Internet.
Mon correspondant est hésitant,
mais m’indique que c’est à priori un médicament couramment prescrit en dépit
d’une réputation controversée.
Je ne me sens ni très
avancée, ni rassurée.
Je trouve un nouveau site
sur le Net : Support Transgenre
Strasbourg.
Ce site propose une foule
d’informations pratiques et de surcroît vécues par les personnes transgenre
qui l’animent.
Le discours est clair,
sans fioritures. Du concret, rien que du concret.
Je trouve un contact téléphonique ;
J’appelle…pas disponible. Je laisse un message avec mes coordonnées.
J’adresse aussi un email sollicitant un avis sur la prescription d’Androcur.
La réponse arrive très vite et me conforte sur mes doutes. Cornelia, ma
correspondante, se révèle fort bien documentée. Je me sens d’instinct en
confiance. Cornelia me communique les coordonnées d’un Endocrinologue de sa région
et me donne au passage quelques conseils précieux. Quelques échanges
d’emails fructueux me font concrètement avancer bien plus que je ne l’avais
fait, seule depuis plusieurs mois !
Vendredi
31 octobre 2003 (jour 290)
Je contacte le docteur D.
Rendez-vous est pris.
J’avise Cornelia de ma
démarche et la remercie de son aide.
Samedi
08 novembre 2003… à 13h30 (jour 298)
Rendez-vous avec le
docteur D. Endocrinologue dans la région de Strasbourg.
1500 Kms de route aller
retour. Pour exister il faut aimer les voyages !
Moi les voyages, ce
n’est pas mon truc mais je veux exister !
Comme d’habitude
j’arrive très en avance. Le docteur D. accepte de me recevoir plus tôt que
prévu à 10h30. Il lit attentivement tous les examens et radios que j’ai pu
rassembler et mettre à sa disposition.
Il me prescrit de
nombreux examens que ne m’avait pas demandés l’autre médecin, notamment
une radio du foie et une IRM cérébrale.
Au vu des analyses récentes,
il me prescrit à faible dose pour commencer, de l’Estreva Gel (Estradiol) et
de l’Estima Gé (Oestrogène) que Cornelia m’avait préalablement préconisés.
A réception des analyses
complémentaires, il adaptera le traitement.
Compte tenu de l’éloignement,
il accepte de me suivre à distance (prescription d’examens sanguins + THS)
mais souhaite me rencontrer au moins une fois par an pour un bilan complet.
Satisfaite, heureuse, je
fais le voyage retour sans trop sentir ma côte fêlée 48 h auparavant.
Mardi
11 novembre 2003 (jour 301)
Je prends ma première
dose d’Estreva Gel…
Je signe l’armistice
avec mes tourments d’hier.
Mardi
27 janvier 2004 (jour 378)
Visite annuelle à la médecine
du travail.
Coming out. Le médecin
en prend acte et me suggère de ne pas trop tarder à en parler à
l’employeur. Il me propose son écoute au cas où j’aurais besoin d’un
soutien.
Vendredi
06 février 2004 (jour 388)
Je fais une jolie
rencontre… trop brève. J’aimerais beaucoup revoir cette personne.
Mercredi
11 février 2004 (jour 393)
Entretien individuel avec
ma Direction qui me propose une poste de management d’une équipe.
Prise au dépourvue, je
demande un délai de réflexion. Impossible d’accepter cette offre sans que ma
Direction ait toutes les cartes en main. Impossible donc de reculer un coming
out envisagé pour plus tard et sans savoir précisément quand. Sans réfléchir
plus, je sollicite un rendez vous avec mon DRH à cet effet. Nous prenons date.
Etrange sentiment que
celui-là. J’imagine que nous rêvons toutes d’être un jour admises et
reconnues dans notre milieu professionnel.
J’ai longuement réfléchi à cet instant sans trop oser concrètement
l’imaginer.
Cette étape si inquiétante,
combien d’entre-nous hésitent à l’aborder tant les risques semblent
importants ?
Je n’ai plus le loisir
de me poser ces questions. Je dois désormais assumer. En m’affichant
androgyne au bureau, j’ai volontairement semé le grain.
Mardi
17 février 2004 (jour 399)
Rendez-vous avec mon DRH.
Objet : Coming out professionnel.
Gorge nouée, je décline
peu à peu ma transidentité. Je sens dans le regard de mon interlocuteur, une
écoute attentive et compréhensive qui me rassérène.
L’entretien tant redouté
se déroule plutôt bien. On avait en effet noté mon « évolution »…
Le DRH prend note et m’assure de son soutien à mon égard. Il me
remercie de ma démarche qui présente l’avantage de la clarté. L’évolution
équivoque de mon look interpellait et des bruits divers circulaient défavorablement
à mon propos.
Il en parlera au PDG qui
n’opposera pas d’objections selon lui.
Il me propose de mettre
à profit mon absence pour une intervention chirurgicale programmée, afin
d’informer officiellement le personnel de mon changement de genre. Je pourrai
ainsi revenir au bureau librement en femme dès ma guérison. Il me précise que
mon cas donne à l’entreprise l’occasion d’un challenge intéressant :
démontrer son aptitude à la tolérance pour une personne affichant
volontairement et librement sa différence.
Je sens toute la pression
accumulée de ces derniers mois et plus encore de ces derniers jours, retomber
soudainement. Je revois défiler en quelques secondes toutes ces années de
tourments. Je pense à Maman, à Cornelia et aux rares personnes qui localement
m’ont soutenue.
Une immense bouffée d’émotion
me submerge. Je balbutie quelques mots de remerciements.
Vendredi
20 février 2004 (jour 402)
Je croise le P-DG qui
accepte de me recevoir. Il me remercie à son tour de cette clarification de mon
identité de genre et souhaite la bienvenue à Samantha.
Mon nouveau statut ne lui
pose pas de problème particulier quant à son offre initiale de poste. Je lui
fais remarquer que cela suppose une exposition permanente à l’extérieur de
l’entreprise.
Il me dit n’avoir pas
d’état d’âme à confier cet emploi à une personne expérimentée, fût-elle
transgenre. Je le remercie et prends congé, la tête dans les étoiles…
Samedi
21 février 2004 (jour 403)
Confirmation que je fais
probablement une belle et tendre rencontre.
Mercredi
25 février 2004… à 12h00 (jour 407)
L’ensemble du personnel
de Tours est invité à une information générale.
Je suis censée avoir
quitté mon bureau sur instructions du DRH, mais j’ai un peu de retard dans
mes dossiers.
De mon bureau, je vois le
personnel converger par grappes vers la grande salle de conférence…
Sentiments confus, je ne réalise pas tout à fait ce qui m’arrive ; cela
me semble irréel.
Quelques minutes plus
tard, C. passe pour la dernière fois la grille de sortie.
Lundi
22mars 2004 (433ème jour)
Pour la première fois,
Samantha entre dans sa Société… heureuse, fière et libre…
Cette date marque l’enterrement définitif de ma vie de garçon
Dans sa première
version, l’histoire s’arrête là.
A partir de ce 22 mars
2004, je n’ai plus rien noté d’aussi précis chronologiquement.
Emportée dans les sables
mouvants de la vie, des moments heureux et douloureux se sont succédés.
Je vais néanmoins
essayer de démêler le fil des événements survenus depuis...
Suite
et fin de l’histoire :
Les
phases de transition sont des instants délicats et précaires.
Au
bureau, j’ai été majoritairement bien acceptée. Avec son lot épars
d’intolérants qui ne veulent pas dire leur nom. Mais ceux-là, comment reconnaîtraient-ils ma valeur, eux que les préjugés
aveuglent plus que le soleil lui-même ? Il y a des signes qui
montrent que l’humanité a encore quelques menus progrès à faire…
Concentrée sur mon travail, je ne réagis pas à
ces messages déplaisants ; si je le faisais, je me laisserais submerger
dans un océan d’émotions négatives.
La majorité a néanmoins bien vécu ce
changement. On m’appelle Samantha. Ceux que ça gêne ne m’appellent pas et
je ne les appelle pas non plus. D’aucuns préfèrent m’appeler « Sam ».
Sans doute cela les rassure-t-il : Sam est un prénom mixte. C’est leur
problème et surtout pas le mien, bien au contraire.
En
russe, Sam est un nom très courant
qui signifie « Moi-même ».
Jeudi
15 Avril 2004 :
La
rupture sentimentale me blesse d’autant plus que la rencontre avait été
belle, fulgurante, passionnelle.
Chagrin.
Dépression.
Début
Mai 2004 :
Séjour
à l’hôpital.
Mi-mai
2004 :
Mon
entretien avec la psychiatre des équipes officielles m’a laissé un goût
amer. J’éprouve néanmoins pour la première fois de ma vie l’absolue nécessité
de faire appel à un spécialiste. J’espère infiniment qu’il m’aide peut-être
à m’éclairer, en guidant la compréhension de mes émotions et en me faisant
recouvrer force et confiance en moi.
Au
bénéfice d’un désistement, je décroche un rendez-vous pour fin mai chez le
Dr R. psychiatre.
Fin
mai 2004 :
Je
suis enfin face au Dr R. Le ressentiment accumulé chez sa consœur parisienne
ne laisse pas la place à un premier contact bien avenant de ma part.
Oubliant ce qui motive ma visite, d’emblée je lui fais part de mes griefs à
l’égard de ses confrères. Gentiment, patiemment, elle me recadre.
C’est
une jeune femme dont les yeux contiennent énormément de tendresse et de
sagesse à l’endroit des êtres humains. Elle m’en apportera la preuve tout
au long des années qui suivront. Au terme de ce premier entretien, je m’aperçois
que je rencontre une tolérance et une reconnaissance de ma transidentité tout
à fait inattendues. Elle n’y a pas fait allusion et m’a tout de suite appelée
Samantha avec un naturel très touchant.
Elle
établit même ma feuille de soin en omettant mon identité officielle.
De
progressions sensibles en fortes régressions, de journées apparemment sereines
en nuits passées à hurler de chagrin, plus de trois longs mois de travail
introspectif m’ont été nécessaires pour retrouver un équilibre encore précaire.
Je
ne crois pas pouvoir jamais guérir de ces trop profondes lézardes affectives
liée à mon enfance. Tout au plus en suis-je consciente à présent, et
pourrai-je, le travail aidant, être mieux préparée, plus tard, à la maîtrise
de mes émotions.
L’apaisement
aidant, nous avons espacé nos rendez-vous. Nous n’avons jamais évoqué ma
transidentité que comme une évidence dans ma vie. Le Dr R a simplement eu la
gentillesse de m’aider chaque fois que nécessaire (attestations de suivi),
pour faciliter mes démarches avec la CPAM, puis mon chirurgien, enfin mon
avocat.
Nos
entretiens ont pris fin en mai 2007.
Une
personne transgenre a passé trois ans de suivi auprès d’une psychiatre
exceptionnelle, sans jamais avoir été considérée comme une personne à
soigner de sa transidentité, sinon de ses blessures d’enfance et de ses
peines de cœur…
Merci
Christine, car c’est ainsi que très vite je vous ai nommée.
Jamais
je ne vous oublierai.
Samedi
12 juin 2004 :
Première
rencontre avec Patricia, loin de Tours hélas… Nous nous reverrons
quelquefois. Nous nous écrirons beaucoup et sa tendre présence amicale me sera
particulièrement précieuse.
Depuis
le tout début de ma transition
j’avais ajouté mon prénom féminin sur ma boite aux lettres et je me faisais
adresser des courriers commerciaux ou administratifs sous cette identité.
Le
cumul de ces courriers ajouté au témoignage de deux amies, m’ont permis de
me faire établir un acte de notoriété dès le 8
octobre 2004.
Dès
lors, cet acte m’a permis de me faire reconnaître officiellement sous statut
féminin auprès de :
-
Services
des Impôts
-
Opérateur
téléphonique - Opérateur télé
-
Carte
Bleue et Chéquier
-
Mutuelle
-
Assurance
auto
-
Edf
-
Service
des eaux
-
Syndic
de copropriété
-
Permis
de conduire… Etc.
Et…
J’ai
obtenu de me faire établir une carte
Vitale au nom de Samantha PAUL,
ainsi que l’envoi de tous mes courriers sous cette identité.
Depuis
le 22 mars 2004, je suis reconnue
dans ma Société. La présentation de mon acte de notoriété me permet de
faire ajouter « Samantha » dans la rubrique nom de mes feuilles de
paie. C’est toujours ça de pris.
Samedi
04 Décembre 2004 :
Première rencontre avec Sarah (voir page « Transition de Sarah »)
Mercredi
27 avril 2005 :
Je
fais changer ma carte d’identité qui porte désormais la mention « Dite
Samantha » dans la rubrique prénom.
Juillet
2005 :
Rendez-vous
avec mon Avocat. Première prise de contact en vue de présenter une requête
auprès du Tribunal de Grande Instance de Tours, pour mon changement d’état
civil.
Septembre
et Octobre 2005 :
Préparation
du dossier.
Octobre
2005 :
Remise
du dossier à mon Avocat.
Lundi
07 Novembre 2005 :
Dépôt
de ma requête auprès du Tribunal de Grande Instance de Tours.
A
partir de ce jour, je ne suis qu’attente…
Jeudi
09 Mars 2006 :
Convocation
en première audience.
Etant
à l’étranger (cf. Transition de Sarah) je demande le report.
Jeudi
04 Mai 2006 :
Nouvelle
convocation en première audience.
C’est
la toute première fois de ma vie que j’assiste à une plaidoirie dans un
tribunal. De surcroît, c’est de moi qu’il est question…
Quelle
solennité !
Tous
ces hommes qui portent fièrement épitoge et robe noire.
C’est
du plus bel effet…
Pour
ma part, je suis venue en pantalon. Ironie !
Je
suis seule, sur un banc, non loin de mon défenseur.
Le
juge me jauge. Ses assesseurs itou.
Mon
avocat a bien travaillé. Sa plaidoirie me semble bien argumentée.
Sans
s’opposer sur le fond, le Ministère Public suggère la mise en œuvre d’une
expertise… Il me plombe un peu l’ambiance.
Vendredi
06 Juillet 2006 :
Jugement :
Le
juge a suivi l’avis du Ministère public. Il veut s’assurer de la pertinence
de ma requête et missionne deux experts.
Septembre
2006 :
Désistement
d’un expert…retard.
Octobre
2006 :
Un
nouvel expert est missionné.
Jeudi
22 novembre 2006 :
Convocation
à l’expertise…
Jeudi
01 Février 2007 :
Rapport
d’expertise rendu au tribunal de Grande Instance de Tours : Favorable.
L’avocat
est optimiste. Le jugement interviendra désormais très vite selon lui.
Je
demeure prudente.
Vendredi
13 Juillet 2007 :
Je
m’inquiète de la non-réponse depuis plus de cinq mois.
L’avocat
m’apprend la défection d’un juge pour raison de santé.
Répartition
des dossiers sur les trois autres juges.
Conséquence :
Délais prolongés
Jeudi
04 Octobre 2007 :
Dossier
mis en délibéré. Lecture du rapport d’expertise.
Mon
avocat est optimiste. Le jugement aura lieu le 8 novembre 2007.
Jeudi
08 Novembre 2007 (Jour 1757) :
Jugement :
Mon
avocat ayant dû plaider ce jour-là dans une autre ville, a chargé une de ses
consœurs d’aller prendre connaissance du jugement.
Toute
la journée, la main posée sur mon portable, je ne suis qu’attente…
Ce
n’est qu’à 17h45 que j’obtiens la réponse par l’entremise du secrétariat
en ces termes: « Le dossier vous
concernant a reçu une réponse favorable du tribunal ». Je
n’ai pas ri de ce bonheur-là. J’en ai pleuré.
Je me souviens : A la naissance de ma sœur, ma
grand-mère courait à travers notre village, du mieux que ses pauvres jambes le
lui permettaient, criant à la volée : « C’est une fille, c’est
une fille ! »
Quelques décennies plus tard ma chère grand-mère,
c’est une autre fille qui vient au monde beaucoup plus discrètement…
Certes, je ne suis qu’un rajout dans la marge
de mon acte de naissance.
Mais au fond de moi, c’est en pleine page que je
suis Samantha, en lettres d’or. Na !
Lorsque
je me retourne vers ces années passées, je vois défiler le ruban d’une vie.
La mienne. Et j’y tiens à ce ruban, même un peu froissé par la tristesse.
Parce que c’est le mien et qu’il me relie à ceux que j’ai aimés :
Ma famille. Celle qui n’a plus trop voulu de moi.
J’ai
écris cette histoire en pensant bien sûr aux personnes transgenre.
Mais
j’aimerais tant aujourd’hui, ces mots étant posés sur le papier, que ma
famille sache et me comprenne mieux.
Sarah
habite loin de Tours.
Elle
s’est déplacée ce 08 novembre 2007 pour me soutenir de toute sa tendresse.
Elle
a toujours cru à cette issue favorable. Bien avant moi.
Elle
savait que j’avais achevé de gravir la montagne et que désormais elle
pourrait m’accompagner dans ma descente vers la plaine apaisée de mes proches
vieux jours.
Outre
Sarah, cette transition m’a apporté de bien jolies rencontres.
Patricia
ma douce amie, Christine, Cornelia, Odile, Claire, Sandrine, Denis, Francis, Dr
B., merci du fond du cœur.
Merci
à vous tous qui, à des moments cruciaux de ce parcours, m’avez apporté la générosité
du cœur pour m’insuffler la force de continuer.
En
ces instants de bien-être qui suivent cet événement, je ferme les yeux,
attentive aux battements de mon cœur, à cette vie qu’il m’a fallu chercher
et qui circule enfin en moi.
D’autres
luttes à venir. D’autres peines sans doute. D’autres joies peut-être.
La
vie. La vie qui continue.
Demain
est un autre jour…
« Quand on veut une chose, tout l’Univers conspire à nous permettre de
réaliser notre rêve. »
Paulo Coelho
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© Samantha Paul,
le 1er Novembre 2007 - Tous droits réservés ETT37